
Psychologie de l’interruption volontaire de grossesse
L’avant
Lorsqu’une femme découvre qu’elle est enceinte sans l’avoir prévu, elle peut vivre un moment de choc qui remet en question ses projets de vie. Il y aura des femmes qui, malgré un premier moment de confusion, accueilleront la grossesse et d’autres qui, au contraire, n’auront pas envie de la mener à terme.
Pour ces dernières, parler de l’avortement et des sentiments douloureux qui accompagnent ce choix est souvent difficile. Il y a la peur d’être jugé, de ne pas être compris ou d’être poussé à reconsidérer la situation. Ces craintes les conduisent à ne se confier à personne, en excluant souvent leur partenaire, afin de ne pas être influencé par ce que pense l’autre. Malgré le fait qu’il existe une loi qui sanctionne ce droit, de nombreuses femmes vivent l’interruption volontaire de grossesse comme quelque chose à cacher, dont il faut avoir honte. La grossesse non désirée peut avoir différentes histoires derrière elle : elle peut provenir de l’échec d’une méthode contraceptive, elle peut provenir de la violence, elle peut provenir d’un projet avec un partenaire qui s’en va, elle peut provenir de rapports sexuels non protégés, etc. Quelle que soit la raison et l’histoire qu’une femme apporte, cette période de la vie sera profondément sensible.
Après un premier moment de choc, les femmes déclarent ressentir une forte anxiété en rapport avec l’importance de l’enjeu : devenir mère ou ne pas le devenir. Dans la période entre le test positif et la décision à prendre, les deux options (poursuite de la grossesse ou avortement) alternent dans l’esprit, accompagnées d’une anxiété intense. Dans la peau des femmes qui se retrouvent face à ce dilemme, les deux options présentent des thèses très valables. Le don de la vie d’une part et le désir de devenir mère représentent une pulsion biologique et une attente socialement partagée qui agissent comme un contrepoids aux difficultés qui se profilent dans la tête d’une femme à ce moment-là. Les aspects critiques liés à une grossesse non désirée peuvent être très personnels et liés à un moment précis de la vie. Il y a les filles/femmes qui ne se sentent pas à la hauteur du rôle de mère, certaines se considèrent trop jeunes, il y a celles qui ne veulent pas donner naissance à un enfant dans un contexte de privation (qu’il soit économique ou affectif), il y a celles qui ne se sentent pas prêtes, il y a celles qui voient l’idée de changer de vie comme un fardeau insupportable, etc. Il y a des femmes qui, parce qu’elles ont des doutes sur leur désir de maternité, pensent qu’elles ne seront jamais de bonnes mères « une femme doit être heureuse pour une grossesse ».
Lorsqu’une femme choisit l’interruption volontaire de grossesse, elle vit souvent ce choix comme quelque chose à « laisser derrière elle dès que possible » et l’objectif est de résister jusqu’au jour de l’intervention. La latence entre le choix et la date de l’intervention (généralement 2 semaines) est une source d’inconfort car la décision n’est jamais facile, souvent subie, remettant à plus tard la réalisation, » vivant » une grossesse qu’on a décidé de ne pas poursuivre. L’anxiété est principalement liée à deux aspects : d’une part l’anticipation de l’attente de l’intervention ( » un temps qui ne passe jamais « ) et d’autre part le doute de faire le bon choix ( » et si je le regrette ? « ).
Même lorsque la décision est prise consciemment, en sachant que l’avortement est le meilleur choix qu’elle puisse faire, la femme traverse une période émotionnellement intense, le sentiment de responsabilité de ne pas donner la vie est un lourd fardeau à porter, surtout lorsqu’il s’ajoute aux symptômes qui accompagnent souvent la grossesse. Celles qui choisissent l’avortement font un pas qui, pour beaucoup de femmes, est le premier pas d’une élaboration qui peut être très difficile et douloureuse.
Les conséquences
Après l’interruption volontaire de la grossesse, les femmes éprouvent un premier moment de soulagement. Cependant, bien que les raisons qui ont conduit à l’interruption de la grossesse soient perçues comme valables et raisonnées, des sentiments douloureux émergent et ne sont pas faciles à gérer. Parfois, nous assistons à une phase de déni dans laquelle la femme vit sa vie comme si cet événement n’avait pas eu lieu. Dans certains cas, nous constatons l’apparition de différents types de symptômes qui montrent la présence d’une souffrance émotionnelle. Quelle que soit la manière d’affronter l’interruption volontaire de grossesse, il est nécessaire d’accepter les émotions et les sentiments qui en découlent, car chaque femme doit intégrer cette expérience dans sa propre histoire de vie, dans le bagage complexe d’expériences qui la définit. Les moments et les façons d’élaborer cette expérience sont absolument différents, comme le sont les femmes qui la vivent, mais un cours de psychothérapie peut aider à cette élaboration.
La culpabilité est une émotion souvent évoquée à la suite d’un avortement. Cette émotion peut naître du fait de ne pas assumer la responsabilité d’un choix aussi important parce qu’on se sent égoïste, ou bien on peut ressentir une profonde tristesse de ne pas s’être donné une chance. Le sens de la responsabilité de son propre choix est une variable très importante à travailler afin d’intégrer ce petit bout dans son histoire. Si, à ce moment précis de sa vie, la femme choisit d’interrompre sa grossesse, des raisons l’auront amenée à faire ce choix. En thérapie, nous nous efforçons de reconnaître, sans porter de jugement, les sentiments et les pensées qui ont marqué cette phase de la vie afin de comprendre le sens du choix effectué.
Il se peut qu’après l’interruption volontaire de la grossesse, la femme reconnaisse que la peur de ne pas se sentir à la hauteur du rôle de mère l’a amenée à croire qu’elle n’avait pas d’autre choix que d’avorter et que, après l’interruption volontaire de la grossesse, elle perçoive comme moins catastrophique la possibilité de devenir mère. Ce sentiment peut être très déstabilisant car il n’est pas possible de revenir à ce moment où toutes les routes sont ouvertes. Cependant, reconnaître à un moment ultérieur, moins activé par l’anxiété, qu’il aurait été possible de prévoir une maternité ne change pas l’hypothèse de base : il n’y a pas de bons choix dans l’absolu, mais des choix qui sont faits à un moment particulier de sa vie, dictés par ce que sont les besoins et les circonstances qui définissent ce moment spécifique. Si la même grossesse s’était produite à une autre période, avec un autre partenaire, etc., nous ne pouvons pas affirmer avec une certitude absolue que la femme aurait avorté ou, au contraire, mené la grossesse à terme. Il sera donc essentiel d’accepter que la décision prise était la bonne, la plus acceptable ou la meilleure chose qu’elle pouvait faire à ce moment précis.